Cette expérience et la documentation qui l’accompagne ont marqué un tournant dans ma vie, bouleversant ma perception de la nature. Cela fait maintenant plus de sept ans que je parcours les hauts plateaux d’Éthiopie, suivant les traces du fascinant loup d’Abyssinie (Canis simensis, ou loup d’Éthiopie). Tout a commencé grâce à mon ami Baptiste Bataille, dont je suis infiniment reconnaissant pour avoir initié notre première expédition dans les montagnes de Balé.
Une observation inédite
Au fil des années, entre longues observations, échanges passionnés avec mes collègues du suivi écologique et discussions avec les scientifiques de l’Ethiopian Wolf Conservation Programme (EWCP), j’ai eu la chance d’assister à un comportement aussi fascinant qu’insolite : un loup savourant les fleurs vibrantes de Kniphofia foliosa, connues sous le nom de Tison du diable. Ce moment unique a déclenché ma curiosité. Ce comportement, aussi spectaculaire qu’obscur, n’avait jamais été étudié ou documenté.
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Un objectif clair s’est alors imposé : immortaliser cette interaction étonnante entre ce prédateur rare et les fleurs emblématiques de son habitat. Cependant, la réalisation de ce projet s’est révélée bien plus ardue que prévu. La période d’observation étant brève et conditionnée par les saisons de pluies, l’accès aux sites était souvent complexe. Après plusieurs expéditions jalonnées d’échecs, de longues attentes et de défis logistiques, j’ai finalement réussi, en 2021, à capturer ces moments éphémères : les premières images de loups se nourrissant de nectar, au cœur d’un paysage vibrant et mystérieux.
Analyse d’un comportement surprenant
Ce n’est qu’après avoir partagé ces observations avec Sandra Lai, chercheuse au sein de l’EWCP, que l’idée d’approfondir cette question a émergé. Il a fallu de nombreuses heures d’observation minutieuse, scrutant les loups parmi les fleurs, pour collecter des données permettant d’émettre des hypothèses solides. Ces recherches ont ensuite été synthétisées par Sandra Lai et ses collaborateurs de l’EWCP, avant d’être publiées dans la prestigieuse revue Ecology.
Le loup d’Éthiopie, principalement connu comme un redoutable prédateur de rongeurs, est l’un des carnivores les plus rares et menacés d’extinction en Afrique. Mais qui aurait pu imaginer qu’il se comporterait comme un pollinisateur, à l’image des abeilles ou des papillons ? Dans l’écosystème afro-alpin, à plus de 3 400 mètres d’altitude, certaines vallées se parent de tapis colorés de Kniphofia foliosa, des fleurs endémiques surnommées « tison du diable ».
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Une énigme à découvrir
Pourquoi ces loups se nourrissent-ils de nectar ? Est-ce par gourmandise ou pour répondre à un besoin nutritionnel spécifique ? Les observations révèlent un comportement fascinant : cette habitude semble largement répandue au sein des différentes meutes, suggérant une transmission potentielle par apprentissage social. Certains individus visitent parfois plus de 30 fleurs, leur technique étant aussi précise qu’efficace : ils ciblent les corolles les plus ouvertes, riches en nectar sucré et abondant. J’ai moi-même goûte ce nectar, et il est délicieux !
En prélevant ce nectar, les loups se couvrent de pollen, clairement visible sur leurs truffes jaunies. Cette interaction pourrait conférer à ces prédateurs un rôle inattendu : celui de pollinisateurs.
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Une exception rare dans le règne animal
Près de 90 % des plantes à fleurs dépendent des animaux pour leur pollinisation. Bien que les insectes en soient les principaux acteurs, certains vertébrés, comme des rongeurs, lémuriens ou petits marsupiaux, participent également à ce processus. Toutefois, chez les carnivores, les exemples de pollinisation sont extrêmement rares et concernent principalement des civettes, genettes ou mangoustes.
En route vers des preuves scientifiques
Pour confirmer l’hypothèse du loup pollinisateur, des études plus approfondies s’imposent. Il faudra évaluer la fréquence des visites aux fleurs, quantifier le pollen transporté et analyser l’impact direct de ces interactions sur la reproduction des plantes. Ces recherches pourraient révéler un élément insoupçonné de cet écosystème unique, enrichissant notre compréhension des liens complexes entre faune et flore.
Etat de l’espèce
Le loup d’Éthiopie, l’un des canidés les plus rares au monde avec moins de 500 individus répartis en six foyers, est menacé par la perte de son habitat afro-alpin due aux activités humaines, ainsi que par des maladies transmises par les chiens domestiques, comme la rage et la maladie de Carré. Classé En Danger sur la liste rouge de l’UICN, sa survie dépend de mesures urgentes : protection de son habitat, vaccination des chiens, et sensibilisation des communautés locales pour préserver cet emblème des hauts plateaux éthiopiens.
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